CHAPITRE IV
Elsy était assise sur une caisse retournée dont les échardes lui lardaient les cuisses à travers le fin tissu de la robe à couleurs variables. Les policiers en casque de chrome avaient entassé tous les témoins dans l’un des hangars de la production, mais on savait d’ores et déjà que le coupable avait pris la fuite, abandonnant dans la poussière une carte de visite marquée d’un grand V rouge imprimé en caractères gras. Une ambulance était venue prendre livraison de Gwennola Maël dont on avait lavé le visage à grande eau sans parvenir pour autant à enrayer l’effroyable appétit du liquide dévastateur. Elle avait fini par sombrer dans une sorte de coma convulsif entrecoupé de gémissements qui donnaient envie de se boucher les oreilles.
Cazhel était arrivé avec une bonne demi-heure de retard, la tête nue et la bouche pleine d’insectes comme à l’accoutumée. Tout de suite il avait repéré Elsy sur sa caisse, et un sourire funèbre avait fait luire l’émail de ses dents.
— Encore là ! ricana-t-il en posant la pointe de sa botte gauche sur l’arête de l’emballage, mais dites-moi, on mutile beaucoup sur votre passage, ma petite ! On va bientôt vous répertorier au rang des porte-poisse, avec les chats noirs et le vendredi 13 ! Pas très bon dans une profession où les gens sont, paraît-il, très superstitieux, non ?
— Je connais personnellement Gwen, siffla Elsy à bout de nerfs, par le passé elle s’est montrée très gentille avec moi. J’ai pensé qu’elle pourrait m’engager…
— Pas de chance ! La prochaine fois que vous irez solliciter un emploi, laissez-moi un message, j’enverrai une ambulance sur vos traces. Un bonbon ?
Cette fois elle repoussa la boîte bourdonnante. Cazhel émit un petit rire idiot et partit rejoindre ses hommes. Il faisait horriblement chaud dans le hangar. Les tôles des parois chauffées à blanc par le soleil donnaient l’impression d’un four géant conçu pour rôtir les humains par bataillons entiers. Elsy ouvrit son sac à la recherche d’un mouchoir pour s’éponger. Tout de suite ses doigts rencontrèrent le corps inerte du petit rongeur ramassé au snack-bar. Il était glacé. Une raideur dans la gorge, elle comprit que le petit animal avait fini par périr étouffé dans la prison exiguë du réticule de plastique imperméable. Elle en conçut un grand désarroi et crut qu’elle allait fondre en sanglots. Elle se résolut finalement à glisser le petit cadavre dans une caisse de carton remplie de débris de mousse.
— Vous avez raison, commenta un journaliste qui avait suivi son geste, on dira ce qu’on voudra, mais mort ça n’a plus le même goût, c’est… c’est fade.
Comme elle le foudroyait du regard il recula, interloqué, et se le tint pour dit. Il fallut plus d’une heure à l’équipe des anti-terroristes pour recueillir toutes les dépositions. Le résultat de cette collecte s’avéra pratiquement sans intérêt. Personne n’avait vu l’agresseur, sinon de dos et courant de toute la vitesse de ses jambes. Cazhel fit saisir les appareils de prise de vues dans l’espoir que l’homme figurerait par mégarde sur l’un des clichés, ce qui provoqua un véritable tollé.
— On en tirera des doubles et on vous rendra ce soir même les originaux ! coupa Cazhel, et fermez-la, ou je verbalise ceux qui travaillaient avec des caméras « dénudantes » !
La menace fit son effet, les reporters quittèrent le hangar en traînant les semelles pour bien marquer leur mécontentement. Elsy se retrouva seule avec l’officier chauve.
— Et vous ? Vous l’avez vu ?
Elle haussa les épaules.
— Il était jeune…
— Jeune, c’est tout ? Vous aussi vous êtes jeune, du moins encore un peu. Qu’est-ce que c’est que cette robe idiote qui clignote comme un néon défectueux ? On vous l’a VRAIMENT fait payer ?
Elle baissa le nez, soudain très lasse. Même le bourdonnement s’élevant de la boîte de friandises ne l’effrayait plus.
— Vous savez, observa le capitaine, elle est salement amochée, aucune greffe ne pourra jamais réparer ça.
— La planète devient folle, souffla Elsy.
— Arrêtez de me balancer des lieux communs ! La planète a toujours été folle ! Non, ce qui m’ennuie c’est que je ne comprends pas ce qu’ils veulent, on dirait des racketters punissant des clients en rupture de contrat. Et puis ce choix de vedettes : Léonora, Gwennola Maël, Miles O’Canavan… Rien que des étoiles bourrées de fric.
— Gwen n’avait plus un sou.
— Tiens ! Intéressant, ça. Et Léonora ?
— Léonora a toujours été riche, tout le monde sait ça ! Elle se désintéressait totalement de ses contrats. Et la Vénus de Milo lacérée, la Joconde en morceaux… Vous croyez aussi qu’on les rackettait ?
— C’est l’inverse.
— Quoi ?
— La Joconde est une peinture, ou une tapisserie, je ne sais plus. La Vénus une statuette.
— Vous dites n’importe quoi pour m’embrouiller.
— Comme vous voulez. Mais méfiez-vous, la petite coïncidence de cet après-midi va vous faire une sacrée réputation. Certains journalistes vous ont reconnue. J’ai bien peur qu’on vous fasse porter d’ici peu la défroque des pestiférés !
Elsy ferma les yeux, ses veines charriaient des cubes de glace. Lorsqu’elle releva la tête, Cazhel avait disparu. Debout à l’entrée du hangar, une matrone en maillot de cuir la dévisageait d’un œil mauvais.
— Hé, toi ! File ! grogna-t-elle. C’est pas le musée ici, on visite pas !
Elsy s’éloigna sans demander son reste. Dehors, elle faillit héler un taxi automatique, puis se rappela que son compte bancaire était asséché et qu’elle se trouvait désormais sans travail pour une durée indéterminée. Elle pensa s’adresser à l’agence de placement des ouvriers du spectacle mais songea aussitôt qu’on l’éconduirait, ou qu’on laisserait sa fiche dormir au fond d’un tiroir. Elle n’était plus en odeur de sainteté. Alors ? Serveuse dans une cafétéria ? Manutentionnaire dans une fabrique d’animaux d’appartement ? De toute manière on ferait une enquête, sa… « faute professionnelle » viendrait aussitôt s’épanouir à la surface de son dossier, comme une tache de mazout sur la mer…
Elle eut soudain très froid. Elle n’était qu’un témoin sans importance pris dans les rouages d’un formidable complot dont le sens lui échappait. Elle n’était qu’une figurante sans rôle précis, une passante dont personne ne retient le visage… Et pourtant…
Le soleil déclinait à l’horizon. Elle pressa le pas, il lui restait plus d’une heure de marche pour rejoindre le petit logement qu’elle avait loué à son arrivée sur Fanghs. Elle avait réglé le loyer d’avance pour toute la durée de la tournée : trois mois. C’était une consolation, pendant quatre-vingt-dix jours elle serait assurée d’avoir au moins un toit sur la tête. Après…
Peu familiarisée avec la topographie des cités fanghiennes, elle s’égara à deux reprises, dut revenir sur ses pas. Lorsqu’elle atteignit son immeuble la nuit tombait, quelques voyous en tenue de cuir, anneau dans l’oreille, traînaient sur les trottoirs, mollement appuyés aux anciens réverbères (promus eux aussi monuments historiques), elle ne s’inquiéta pas, elle savait qu’il s’agissait d’inoffensifs robots programmés pour donner le frisson aux noctambules en mal d’encanaillement. Les quartiers résidentiels avaient toujours été friands de ce genre de gadget. Par contre, la manchette d’un journal dépassant d’un distributeur automatique la fit suffoquer comme un projectile de caoutchouc anti-émeute. Une photo très nette la représentait à quelques mètres derrière Gwennola, alors que celle-ci, la bouche tordue par la souffrance, tentait de se protéger le visage. Un titre s’étalait en lettres énormes :
« Nouvel attentat. La célèbre Gwennola Maël défigurée au vitriol par un faux reporter. »
Un peu plus bas, une ligne de caractères rouges annonçaient :
« Pour la seconde fois en 24 heures, Elsy Willoc, l’habilleuse de la Grande Léonora, sur les lieux d’une agression ! Quel est le rôle exact joué par cette mystérieuse jeune femme dans l’incompréhensible conjuration qui semble ravager le monde du spectacle ? »
Elle happa l’air, les poumons bloqués par la haine. Walter ! Elle était prête à parier que l’article entier avait été composé sous la dictée de l’imprésario. En la rendant suspecte aux yeux de tous, il la grillait définitivement ; dès demain elle serait sur la liste noire de toutes les agences de placement, un tampon rouge maculerait sa fiche : « Suspecte d’agissements subversifs. À écarter. »
Elle tremblait d’indignation. Détectant son taux anormal d’adrénaline, un robot en flying-jacket clouté s’approcha, interprétant cette soudaine poussée hormonale comme une invite sexuelle. Elle le repoussa violemment et la poitrine de l’androïde émit un bruit de caisse creuse. Elsy haussa les épaules, elle savait que les machines étaient programmées pour satisfaire les noctambules esseulés. Elle en avait elle-même profité à deux ou trois reprises, les soirs de grande solitude. Mais ces étreintes – toutes mécaniques – l’avaient toujours laissée insatisfaite. Elle pianota son code d’ouverture sur le clavier du portier automatique et sauta dans l’ascenseur.
Une fois dans le studio elle se rendit directement dans la salle de bains sans allumer la lumière et entreprit de se dépouiller de ses vêtements. Le halo de la robe jetait sur les murs carrelés une lueur dansante de veilleuse érotique. Elle était en slip quand l’homme la saisit par les cheveux et lui appliqua une capsule adhésive d’insonorisation sur le bas du visage. Elle hurla à s’en arracher la gorge mais aucun son ne filtra hors du masque de caoutchouc blanc. Il la tenait par les poignets, lui broyant les os. Elle entendit qu’un complice tirait les rideaux, puis la lampe de chevet s’illumina, dévoilant les draps froissés du lit qu’elle n’avait pas eu le temps de retaper quarante-huit heures auparavant. Ils étaient deux. Le grand miroir mural lui renvoyait l’image de leurs faces aux traits épais. Les cheveux coupés ras leur donnaient cet aspect grotesque qu’ont toujours les militaires lorsqu’ils endossent des vêtements civils. Ils devaient avoir chacun une cinquantaine d’années. Sans même lui poser une question ils commencèrent à la battre, méthodiquement, sans passion, comme des ouvriers consciencieux. Elle s’aperçut très vite qu’ils portaient tous deux des gants thermiques, transformant la force d’impact en énergie calorifique. Au bout d’une dizaine de gifles elle eut l’impression d’être frappée par des fers à repasser brûlants, et sa peau d’ordinaire très blanche vira au rouge écrevisse. Ils la jetèrent alors sur le lit et le plus âgé lui enfonça son index dans l’anus. Elle hurla et fit un saut de carpe avec la sensation qu’un tison incandescent venait de lui fouiller les entrailles.
— Maintenant écoute, grasseya celui qui la tenait par les cheveux, tout ça c’est de la rigolade, une façon de dire bonjour, rien de plus. Mon copain et moi on travaille pour l’agence de protection des gens du spectacle… On est un peu gardes du corps, privés, videurs. On est payés pour assurer la tranquillité des vedettes, tu comprends ? Cette histoire de vandalisme nous fait un tort considérable… Certains commencent à nous traiter d’incapables, à prétendre qu’on nous engraisse à rien faire. C’est très déplaisant pour des ouvriers sérieux. Alors on s’est dit que tu devais en savoir beaucoup plus que tu ne veux bien le faire croire, non ? Tu vas être raisonnable et nous raconter tout ça, okay ?
Il la lâcha, sortit un boîtier de télécommande de sa poche et coupa le contact du masque insonorisateur. Elsy en profita aussitôt pour hurler à pleins poumons, mais l’autre s’était méfié et son cri mourut à peine amorcé.
— C’est bête ce que tu viens de faire là, susurra-t-il, très bête. Je vois qu’il faut continuer la leçon jusqu’à ce que tu deviennes une grande fille…
Il marcha vers une sacoche qu’elle n’avait pas encore remarquée, et en tira un gros pulvérisateur de plastique à demi rempli d’une solution bleu-noir à l’odeur écœurante très caractéristique.
— Tu sais ce que c’est ?
Elsy sentit le sang se retirer de son visage, elle connaissait effectivement le produit. C’était un multiplicateur de cellules, aujourd’hui interdit à la vente, mais dont on se servait jadis couramment lors des grandes famines. Quelques gouttes sur un minuscule morceau de viande suffisaient à provoquer une reproduction accélérée des cellules organiques, qui, à force de scissions successives, finissaient par engendrer un véritable bourgeonnement de l’échantillon initial, doublant, triplant le volume du fragment musculaire. Un temps, les chercheurs avaient cru tenir là le remède miracle, l’arme suprême contre la malnutrition. On avait pensé qu’il suffirait désormais d’une bouteille, d’un compte-gouttes, et d’un petit débris de bifteck pour fabriquer à volonté des kilos, des tonnes de chair crue s’engendrant eux-mêmes par multiplication artificielle à partir de cellules ressuscitées l’espace d’un moment. Il avait hélas fallu déchanter lorsqu’on s’était rendu compte que l’ingestion de tels aliments avait d’indéniables effets cancérigènes. La solution avait été retirée du commerce au terme d’un procès retentissant.
— Je vois que tu as tout compris, ricana l’homme alors qu’Elsy reculait en rampant maladroitement sur les draps froissés. Ou tu nous parles du racket ou je t’asperge avec cette saloperie ? C’est clair ? Et ne t’avise pas de hurler cette fois.
Il pressa à nouveau sur la télécommande, restituant la perméabilité du masque.
— Je ne sais rien, balbutia la jeune fille, personne ne sait rien… Même la police patauge…
— Pas d’histoire ! trancha celui qui était resté jusqu’à présent silencieux, c’est un racket à la protection. Le racket de la beauté : ou on paye, ou on est défiguré. La Léonora raquait comme les autres, tu dois le savoir…
— Mais non ! trépigna-t-elle s’étouffant dans ses larmes. Personne n’aurait pu la faire chanter très longtemps, elle est très riche, son père contrôle tous les transports intergalactiques, il a sa propre police… Non, c’est idiot, aucun truand n’aurait pu l’amener à payer… Il aurait été liquidé avant d’avoir pu se montrer menaçant…
— Tais-toi ! Et cet après-midi, qu’est-ce que tu faisais chez la mère Gwennola ? Tu arrives, tu t’enfermes pour discuter avec elle sans témoin, et paf ! Comme par hasard à la sortie, elle y passe ! Tu lui as mis le marché en main et elle a refusé de payer, c’est ça ? Il nous faut les noms de tes copains, les adresses, vite. Il faut que tu comprennes que notre réputation est en jeu, notre carrière aussi. Aucun de nous n’a envie de se retrouver sur le pavé, alors une cloche comme toi ça ne pèse pas lourd dans la balance… Tu veux jouer les martyres ? Très bien, on verra ce que tu diras quand tu seras devenue une montagne de verrues de la tête aux pieds…
Il coupa le son et déboucha le flacon. Elsy essaya de fuir mais son acolyte vint l’immobiliser en lui nouant les poignets derrière la nuque. Elle ne pouvait que ruer des deux jambes, ce qui n’avait guère d’efficacité.
La première goutte tomba près de son nombril et elle vit avec horreur sa peau bourgeonner en quelques secondes, donner naissance à une excroissance grumeleuse de la taille d’un petit pois. C’était une sensation atroce. Un grouillement interne incontrôlable comme si son épiderme était soudain doué d’une vie propre et totalement folle. D’autres gouttes la pointillèrent, levant d’ignobles pustules qui, par leur taille et leur aspect, évoquaient autant de tétons érigés. Elle crut qu’elle allait perdre la raison. Aucun homme ne voudrait plus la toucher, elle se suiciderait, elle…
— Sur la figure ! grogna avec impatience celui qui l’immobilisait. On n’a pas le temps de jouer. Finissons-en. Verse-lui ton truc sur les paupières, elle ne pourra plus ouvrir les yeux, et puis sur les seins ! Elle aura l’air d’avoir cinquante tétines par mamelle !
Il éclata de rire, relâchant son étreinte, la peur avait décuplé les forces d’Elsy, elle se rejeta en arrière, propulsant la tête de l’homme contre le montant du lit avec une incroyable violence, puis elle roula sur elle-même et lança un oreiller à la face du second. Il perdit l’équilibre et une gerbe de liquide s’échappa du flacon, lui aspergeant le visage. Avec un hurlement d’épouvante il sauta aussitôt au-dessus du lit et courut dans la salle de bains pour se nettoyer la peau. L’autre s’affaissa sur les draps, l’arrière du crâne poissé de rouge. C’était inespéré. Elsy bondit, rafla son sac, la robe lumineuse, et courut sur le palier. Elle dévala les escaliers seulement vêtue d’un slip déchiré, faillit se ruer sur le boulevard désert et s’immobilisa à la dernière seconde. Non, il ne fallait pas ! Si ses tourmenteurs étaient armés, il leur suffirait d’ouvrir la fenêtre pour l’abattre d’une balle dans la nuque ! Elle se ravisa, choisit de se cacher dans les caves de l’immeuble et descendit sans reprendre haleine jusqu’au parking souterrain. Là, elle eut une hésitation puis songea à la laverie automatique du sous-sol. Sans plus réfléchir, elle gagna la salle plongée dans l’obscurité et se recroquevilla dans un placard sèche-linge. Immédiatement après elle s’en voulut d’une telle absurdité : si les deux monstres venaient à la découvrir ils n’auraient qu’à tourner la poignée pour l’enfermer dans le réduit métallique et la condamner à mourir déshydratée. Les armoires, d’un modèle récent, procédaient en effet non par émission de chaleur, mais bel et bien par absorption d’eau ! Lorsqu’on retrouverait son corps dans quelques jours, sa peau serait devenue aussi sèche qu’un cuir trois fois centenaire… Elle remonta les genoux sous son menton, espérant ainsi neutraliser le claquement nerveux de ses mâchoires, puis elle ferma les yeux, attendant la fin…
Elle demeura prostrée près d’une heure, puis, devant l’absence de menace se permit de penser qu’elle avait peut-être semé ses agresseurs et qu’elle était momentanément tirée d’affaire. Luttant contre les crampes qui raidissaient ses membres elle sortit de sa cachette à quatre pattes, et osa allumer la lumière… La robe à couleurs variables était déchirée, révélant sa trame de fils de cuivre fins comme des cheveux. Elle la jeta dans le vide-ordures et décida de fracturer les casiers à linge sale où les robots d’étage stockaient les effets des célibataires abonnés au service blanchissage. Elle utilisa pour ce faire la petite hache d’incendie fixée au-dessus du synoptique d’alarme. À la troisième tentative elle mit la main sur des vêtements féminins froissés et empestant la sueur, mais elle n’avait pas le choix. Elle se coula dans une robe de toile blanche souillée de café, enfila un imperméable et tira sur ses hanches une culotte à peu près propre. L’absence de chaussures la gênait davantage, ainsi que le masque adhésif qui collait à ses joues comme une ventouse et que rien ne semblait pouvoir détacher. Affligée de ce groin de caoutchouc blanc totalement incongru et qui la condamnait au silence forcé, elle risqua un œil dans le parking. Il était désert. Rasant les murs, elle fit une dizaine de mètres, s’arrêta, la respiration courte, s’attendant à tout moment à voir surgir les deux bourreaux de la cage de l’élévateur, mais rien de tel ne se passa. Elle avisa enfin une paire de sandales jaunes sur la plage arrière d’une petite voiture et se résolut à briser la custode à l’aide d’une brique. Le véhicule bon marché n’était équipé d’aucun signal d’alarme, elle put perpétrer son larcin sans dommage. Habillée et chaussée elle traversa le bâtiment dans toute sa longueur, monta dans un ascenseur et sortit dans une rue latérale. Dès qu’elle fut hors de portée de l’émetteur de poche, le bâillon électronique tomba de lui-même.
Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait devenir…